lalimaya

Je ne suis pas certaine que Pierre va venir. IL est bientôt 23 heures et il me tarde de me coucher.

La musique jazz, en fond, couvre ma solitude. 

Cette solitude qui éveille tant de sentiments contradictoires. Je suis heureuse de retrouver le silence et le calme de mon appartement, mon cocon où je me sens bien, dans mon élément. Mais, il arrive aussi, que je la haïsse, surtout la vision des gens heureux qui me percute lors des soirées ou événements amicaux et familiaux. Je me sens encore plus seule, plus en marge d'une société pour qui, une femme doit avoir déjà une vie familiale et un statut marital. 

A 35 ans, je suis une célibataire endurcie, ce qui agace grandement mes parents. 

La seule personne, présente lors de ces rassemblements, m'aide a supporter ces heures suffocantes, est Pierre.

Pierre, avec sa petite mèche brune, qui lui tombe sur le front, ses lèvres charnues et son regard vert émeraude. Une vraie légende de séducteur, tout au long de nos jeunes années. 

Mes souvenirs sont si vivaces, ils s'accrochent à mon âme et je me sens si triste ce soir.

Je ferme la lumière du salon, et l'interphone se fait entendre.

Fébrile, j'appuie sur le bouton :

-Héloïse, c'est moi.

J'ouvre le hall  et au moment où j'atteints la porte, il toque. Mon coeur déboussolé se tient  face à lui, à sa mèche brune, à ses lèvres fermés , à ses yeux émeraudes impénétrables. Il entre, se dirige vers le salon, s 'appuie sur l'accoudoir de mon fauteuil préféré. Sa silhouette se découpe à la pâle lueur de la lune.

Je m'avance lentement, sans le quitter des yeux. Nos regards cherchant à s'ancrer, nos coeurs survoltés et soudain, sa voix :

- On ne doit plus se voir Héloïse. Tu sais pourquoi, souviens-toi ! 

Son regard fixe à présent le sol. Je ne bouge pas, aucun son ne sort de ma bouche. Ses mots se font assassins et rien, pas une de ces fois où il finit par me dire que c'est une blague, qu'il plaisante. Non, son air sérieux et déterminé , me liquéfie sur place. Sa démarche est compréhensible, je connais la raison.

A l'âge de 10 ans, nous avions conclu un pacte.

Je ne réponds rien, je sais.

A cet instant, mon amour et ma haine ne font plus qu'un et pourtant à travers ce voile de tristesse, je ne l'ai jamais trouvé aussi beau.

Pourquoi, maintenant ?

Je le sais, mon regard sur lui vient de changer !

Je le découvre enfin, Pierre, tel qu'il est à mes yeux. 

Puis, il  devient une ombre qui passe près de moi, sans se retourner.

Une ombre qui s'évapore, comme si elle n'avait jamais exister.

Mon âme devient pierre!